Il y a des matins comme ça… Le réveil sonne, plein de bonne volonté vous vous levez sans faire de bruit et vous attaquez le petit déj’ dans la cuisine. Départ 7h que je me suis dit. 7h15, le propriétaire vient me voir, parce que je l’ai toujours pas appelé pour le check out. 3ème tasse de café, impossible de démarrer. Que voulez vous, c’est samedi matin. Un grand roux descend lui aussi. Il a l’air plus en jambes que moi, car il est prêt à partir sans café ! Je prends mes affaires, il me demande si je suis henro, je réponds que oui. Il me félicite. Je lui demande ce qu’il fait. Il sort et me montre … sa trottinette ! Oui, il trottine autour du Japon (pas de la trottinette de Badinguet non plus, la trottinette de compét’) Le comble, c’est que c’est son métier maintenant. Il voyage de manière insolite, sans moteur à chaque fois, autour du monde. Autant vous dire que j’aurais voulu en savoir plus et que l’on aurait pu parler des heures mais comme il m’a dit, les rencontres courtes sont parfois les meilleures. J’ai pris son adresse mail. Son site donnera envie à tous les passionnés de voyage. Pas le truc qu’il fallait que je vois. Maman, je rentre mais je repars bientôt !
La journée me demande un peu de grimpette, mais je l’accepte avec plaisir. Quand on quitte le nuage de pollution d’une ville, c’est une fête. Même s’il faut monter des marches pendant 2 heures pour redescendre par la facade Est 30 minutes plus tard. Le temple est très beau mais bien peuplé, week end oblige. J’en profite tout de même. Je trouve le temps aussi je m’arrêter chez quelqu’un qui m’offre son hospitalité. Thé, gelée de pomme, kakis glacés, biscuits, mandarines, et des belles discussions. Le passé de henro, toujours. La main sur le cœur, encore. Remonté à bloc, je repars pour le deuxième temple, une montagne plus loin. Pas mal de monde encore. Très joli aussi. La redescente dans la ville est tristoune, mais elle a des avantages. Petits restos, supérettes, minets et chambres d’hôtes très sympa. Je me suis planifié une petite journée demain pour affronter THE BEAST ! Otakiji, 950 m d’altitude.
Je prends des forces, pour les derniers jours. C’est pas le moment de se dégonfler !
Jour 48
Kondo, encore lui, m’avait tiré de ma quiétude pour me faire venir dans la salle à manger. Il ne comprenait pas le chemin que j’allais faire le lendemain. Moi non plus, et je n’empêche pas les gens de se reposer ! Lui voulait faire le 88 d’abord, puis le bangai 20 le lendemain. Moi j’approche du 20, et je file dormir pas loin du 88 le lendemain. Chacun sa route dirait l’autre. Je suis un peu frustré de ces 20 minutes passées à rien faire, mais bon. Il reste un bon compagnon de route.
Je me réveille tranquillement. Sûrement trop tranquillement d’ailleurs puisque je pars à 7h20, au lieu des 7h prévues. J’ai le temps pensais-je. Je n’avais pas encore conscience d’une rumeur, à peine plus qu’un murmure, quelque part, en moi.
Je rejoins donc le salon des henros, un musée où l’on peut aussi obtenir son diplôme pour avoir effectué le pèlerinage. Je passe un petit moment là bas, à discuter tant bien que mal, à observer les osamefuda, papiers porte bonheur que l’on donne après avoir reçu un osetai, vieux de 300 ans. Puis je me décide à reprendre la route, parce que petit jour ou pas, il faut bien marcher. C’est à ce moment que la rumeur dans mon esprit se fait entendre pour la première fois clairement : Et si on faisait le bangai 20 maintenant ? J’ai du temps pour y penser.
Je calcule assez vite maintenant, je connais mes temps et mes possibilités. Si je suis devant la montagne à 11h30, ça peut le faire. Ils ont annoncé de la pluie aussi, donc il ne faut aucune goutte au départ. J’arrive à 11h15. pas de pluie. La Bande Originale de Skyrim dans les oreilles, je me lance dans cette folle ascension. 3h30 d’indiqué sur la carte, étroit, facile à suivre avec des pentes raides. Et la première pente vous donne la mesure, il faut une corde pour arriver à se hisser en haut. Mais j’ai réussi à mettre mon corps au diapason. Oublié le mal de dos, les cuisses qui tiraillent et le pieds qui souffrent. Il n’y a plus rien pour m’arrêter. Les dénivelés sont brutaux, je tiens la cadence. Je pense à tout vos gentils messages d’encouragement, et je maintiens le cap. La montagne se fait sournoise, après 700 m de dénivelés, elle cache le chemin sous des fougères. Mais Kukai guide mes pas, et je ne perds pas le sentier.
Impossible de m’arrêter aujourd’hui. La pluie se met à tomber, doucement. Je m’équipe en conséquence, et je retourne à ma pente. Arrivé en haut, le sentier redescend. Étrange, je croyais qu’il y avait une route. Je ne regarde pas l’heure, je ne regarde pas la carte, je ne veux pas gâcher cet état de grâce. Je cours dans les feuilles mortes comme un enfant, avant de retrouver une montée. Je repars à l’assaut, motivé comme jamais, et arrivé en haut, la vue se dégage. Une crête qui sépare deux vallées, et une grande montagne en face de moi. Ça c’est Otaki san, le 950, le voilà, qui me défie. La pluie tombe bien plus fort, et m’oblige à revenir en moi. Je ne suis plus l’invincible, je ne suis plus dans les lointaines volutes spirituelles. Je reprends conscience du mal, de la souffrance. J’en rigole. Que de leçons on peut tirer de cette aventure ! Invariablement, j’avance. La montagne aura beau me demander plusieurs cordées pour escalader ses nobles crêtes, je ne me fais pas prier. La pluie me fera glisser, plusieurs fois, je plante alors mon bâton dans le sol, reprise d’appuis, et en avant. Plusieurs fois, j’ai remarqué des traces dans les feuilles. Une personne, sans bâton peut être. Un fou du dimanche qui m’aura précédé sans doute. Avant l’ultime montée, je croise un anorak orange au loin. Le voilà mon compagnon. Mes capacités de pisteur sont incroyables, puisque c’est bien 20 personnes, une bonne partie avec des bâtons de marche, qui sont devant moi ! Ils se poussent pour que je puisse passer, et mon souffle revient à chaque “merveilleux” que l’on glisse à mon passage. Mes muscles reprennent courage à chaque “puissant” que l’on me lance. Je suis en haut de cette montagne. J’ose regarder l’heure 13h30. Il fallait bien qu’il y ait autre chose ce jour là. Je prends mon repas de midi, histoire d’alléger mon sac de bouffe de 2 kg, fait la routine du dernier bangai de mon pèlerinage, et je descends trouver mon hôtel.
Le ciel se venge. Frustrés de ne pas avoir pu me faire abandonner, les nuages s’écrasent sur la montagne. En quelques instants, on ne voit plus rien à 20 m. Et la pluie se fait plus forte. Encore. Bientôt, le pantalon lâchera, et l’eau me mouillera les jambes. Puis, mes chaussures céderont à leur tour. Je pourrais essorer mes gants en serrant le poing. Je sais tout ça. Mais rien ne me fait plus peur, rien n’éteindra le soleil en moi. Pas même le fait que des travaux rallongent mon parcours de plusieurs km, pour me faire arriver à la nuit tombée.
L’hôtel est un de ces endroits que je n’aurais pas pu me payer s’ils n’avaient pas un prix spécial henro. J’ai plusieurs pièces dans ma chambre (première fois depuis le début il me semble, si on ne compte pas la salle de bain) et le repas est franchement génial. Et il me fallait bien tout ça. Les 11 heures de sommeil devraient arriver à me remettre sur pied. Demain, j’ai un petit jour. Mais je n’arrive plus à me croire quand je dis ça.