Jour 26
Ca me fait mal à chaque fois d’écrire le nombre de jours passés à Shikoku. C’est comme si c’était hier, mon arrivée, les premiers kilomètres, les premières fois à me dire : ouais, lá, c’est comme chez les samouraïs, les premières fois avec les baguettes, … Aujourd’hui encore, je garde un oeil neuf et émerveillé sur pas mal de choses, mais j’ai fait dans les 800 kilomètres, je me suis habillé en samouraï, et je peux enlever les yeux des poissons et les manger avec les baguettes. Comme quoi.
Nous avons attaqué la journée de bonne heure, pour être sur d’être à l’heure pour nos rendez vous. En fait, c’est surtout susan qui ne veut pas rater le ferry de 16 h sinon elle dort dans le port, et moi qui veut prendre la place dans le bon tsuyado. Mais les autres étaient d’accord avec l’horaire, 6 h en piste. Une nouvelle fois, la journée est splendide. On quitte rapidement la ville pour attaquer les montagnes, et on se réjouit de voir arriver les premières couleurs de l’automne. La journée est assez simple, pas mal de possibilités de pauses, 3 temples pour bien décompresser, quelques sentiers pour faire chauffer les cuisses et tout va bien.
Susan était peut être un peu plus silencieuse que d’habitude. Les derniers kilomètres sont là, 25 km avant la fin. Pourtant, elle assure que tout va bien. Et en effet, arrivée au temple 43, son point de départ, donc point d’arrivée, et bien ce ne fut pas un grand moment d’émotion. Un cri de victoire, une photo souvenir, et puis la revoilà partie vers de nouvelles aventures au Japon, encore 2 mois avant la fin de son visa Vacance Travail. Je lui ai dit que je ne peux pas encore prévoir ma réaction mais je crois bien que j’aurais du mal à retenir une larme, et les autres derrière. Mais chacun son truc, je suppose.
Je suis resté avec Kondo et les français, pour les derniers kilomètres. Les français ont laché les premiers, arrivés à l’hotel. Ils ne font pas les bangais, donc ils vont nous dépasser demain, et les jours suivants. Kondo m’a accompagné avant de lui aussi rentrer dans un hotel. Je me retrouve donc à nouveau seul sur les chemins, perdu comme toujours, me voyant déjà demander aux gens l’emplacement du Tsuyado. Mais, au détour d’un chemin, le voilà. Beau. Ouvert, mais beau. Des moustiques en pagaille, une rivière qui coule pas loin, mais beau. Je me voyais tranquillement renouer avec la solitude, oui mais voilà, je suis a Shikoku.
En appelant le propriétaire, j’étais loin de me douter de ce qui allait m’arriver. Il arrive avec une bière, et il discute un peu. Pas de chance, il ne parle pas anglais du tout, mais il fait des efforts de gestes, donc je comprends les grandes lignes. Je lui parle d’acheter des trucs pour manger, il me dit d’attendre. Il revient un moment après avec des bières, et un appareil photo. Il me prend en photo devant une cascade. Je me dis, je lui dois bien ça au papi. Puis il me dit de le suivre. Et de prendre mes affaires.
Il m’a installé dans une pièce de son atelier de fabricant de meuble (à 71 ans, il produit encore des belles pièces, dont une table avec la forme de l’Ile) Il m’offre des mandarines, une bière, et discute. Problème, il a oublié que je ne parlais pas japonais, et l’alcool lui fait augmenter la cadence. Arrive un moment où je rigole quand il rigole, et où je fais une tête triste quand il à l’air triste. Il m’offre la photo qu’il vient de prendre en grand format, imprimé par sa femme à l’instant. Je place deux trois trucs, pour meubler, et je comprend plus ou moins que sa foi est importante.
Il garde tous les noms des personnes qu’il a aidé dans sa vie en les hébergeant (et il y a plusieurs classeurs) car ces noms sont considérés comme des “talismans”, et il considère tous les pèlerins qui marchent comme des personnifications de Kobo Daishi, à plus forte raison ceux qui font les fameux 20 temples supplémentaires. Et pendant cette discussion, boom, la dame apporte un plateau repas de dingue. Pas moins de sept plats différents, tous excellents, avec une bonne quantité (j’ai eu du mal à finir pour vous dire, mais le monsieur était resté avec moi et il avait pas l’air content lorsque j’ai tenté de partager les foies confits). Pendant que je mangeais, il m’a expliqué, je crois, qu’il avait soit donné soit perdu un rein, et que donc la vie d’henro qui marche est finie pour lui, donc voiture et aide ton prochain. La fin de la soirée au saké de prune à 28 degré, j’aurais dû brancher la camera parce que je me souviens pas de grand chose. Si, que ce monsieur est chaleureux comme la chambre qu’il m’a offerte, et que son âme est tendre comme le tapis sur lequel j’ai dormis, et que son foie de compétition compense bien la perte d’un rein.
Il est dans mes prières, officiellement, jusqu’à la fin de l’aventure. Ils commencent à être nombreux, dans mes prières, il faut le dire aussi.
Wow! Genial, quelle rencontre! Je suis officiellement très très jaloux. Moi aussi je voudrais être un talisman! Peut être un jour… Quand tu rentres, si tu rentres faudra que tu me racontes la préparation de cette merveilleuse aventure mec!
Profites bien et encore merci de nous faire vivre ça!
Bises