« Ne fais rien d’inutile », Takezo Shinmen, dit Miyamoto Musashi.

Hashikuraji 








Je me rend au temple supplémentaire 15, Hashikuraji, jugé difficile. Des travaux m'empêchent de prendre les routes calmes, alors je marche le long d'une route nationale pour changer. Et j'arrive au choix, qui n'est pas un choix pour moi, le sentier ou le téléphérique. Ce temple est un parfait exemple de pourquoi prendre une alternative rapide est une erreur. Le sentier monte calmement, ne coûte pas 20 euros, offre des couleurs folles, et prépare le corps pour le temple en lui même qui est sévère. Les marches sont raides, nombreuses, trop nombreuses sûrement. Mais il fait certainement partie des plus beaux. Pas trop le temps de lambiner non plus. J'ai un rêve à aller chercher.
Toujours ce sentiment d'être dans un film et de rentrer dans un temple millénaire abandonné.

















Ayant terminé plusieurs fois le pèlerinage, je peux me permettre des digressions. En l’occurrence, je saisi une opportunité au vol, et comme souvent, je ne le regretterai pas. Sur le groupe facebook des henros, un des groupes devrais je dire, il y eu un post qui a attiré mon attention. Une nonne de Kyoto, experte de la cuisine de temple, Shoojin Ryoori, 精進料理, qui pourrait se traduire par cuisine spirituelle. Importée de Chine et régie par des principes millénaires, son but ultime est d'aider la méditation, et donc de permettre à atteindre le Nirvana. Par exemple, on n'utilise pas de viande ou de poisson, car l'esprit des créatures mortes pourraient interférer dans nos pensées. Pas d'exhausteurs de gout, et pourtant on doit retrouver les 5 saveurs, salé sucré acide amer et umami. On doit donc les avoir naturellement dans les ingrédients proposés. On doit aussi retrouver 5 couleurs. Et adapter aux saisons. Cette cuisinière est dans une sorte de pèlerinage a elle, elle a quitté les villes pour offrir ses services à des temples associés à Kukai. Elle a aussi étudié en Chine et en Inde pour apporter une expérience inédite aux clients. Et sans savoir cela que je lui ai envoyé quelques informations par internet, à savoir deux héros (miyamoto musashi et goku) films (fight club et le seigneur des anneaux) et autres musiques, hobby... 


Des 12 généraux du Zodiak chinois, ce temple abrite celui duuuu, duuuuu ? LAPIN !!!!

J'ai donc pris un train, pour rejoindre le temple où elle officiait, le temple supplémentaire 18. Je l'avais laissé en suspend car je suis passé devant trop tôt, mais je réussit toujours à retomber sur mes pattes !

 Je suis en avance, alors je fais mes prières, tamponne mon livre, et j'attends proche des gardiens du temple assez uniques puisqu'il s'agit ici de sumotori, et non pas de créatures fantastiques. Une petite japonaise m'appelle au loin. La cheffe. Elle me présente le photographe officiel qui fera un shooting de la séance. On me montre ma chambre, puis on me dit de patienter le temps qu'elle prépare l'expérience. Et ça commence. 




Depuis la route, on pourrait croire que ce temple est tout petit. Un gros bâtiment rectangulaire domine la vue, il est relativement neuf, et le temple principal est collé à cet immeuble. Le daishido est plus loin, sur une colline. Cet éloignement témoigne de la gloire passée de ce temple qui devait s'étendre sur plusieurs centaines de mètres, avec probablement 30 ou 50 bâtiments différents. Aujourd'hui, il était coupé par le train et une route nationale. On m'appelle donc pour rejoindre le lieu de la séance. Et de l’extérieur je n'aurais certainement pas pu imaginer tout ce que ce lieu pouvait cacher. On passe par une grosse librairie, des petits couloirs, des jardins intérieurs, des portes coulissantes... Et à chaque bref arrêt pour ouvrir ou fermer une porte, je laisse une partie du monde derrière moi. Rien n'est parfait, l'herbe n'est pas coupée, le bois est rongé a de multiples endroits, certaines portes résistent, mais cela ne fait que rajouter à l'ambiance. Il faudra pour vous faire un effort d'imagination, mais pour moi, je rentre dans mon livre favori. La Pierre et le Sabre. Et c'est un sentiment extrêmement difficile à exprimer. J'étais dans les lignes de ce livre, les scènes que j'avais imaginé dans ma tête prenaient vie. J'étais un homme important, pas samourai ou noble, mais un homme honorable et respecté, invité dans un temple. Je n'avais pas droits aux honneurs de rang, mais j'étais tout de même traité avec dignité. On rentre ici dans l'étiquette japonaise. Devant un noble, on abaisse son propre rang et on élève celui du noble, devant un homme du peuple, on abaisse personne. un bandit on s’élève et on abaisse le rang du bandit, devant un homme que l'on respecte on garde son rang et on élève celui de l'autre. Désolé si c'est un peu technique, mais je suis dans le dernier cas. Ultime porte, et je découvre la pièce. Une salle de cérémonie du thé, chashitsu . J'en avais déjà visité, mais ce sera ma première expérience. Ce sera très facile de décrire cette pièce. Des tatamis, une petite alcove, tokonoma, surélevée, qui présente deux objets, une calligraphie et un arrangement floral. Une porte ouverte laisse admirer le jardin, sauvage, sûrement abandonné depuis de nombreuses années. Je me place en seiza (posture correcte au Japon, qui défonce les jambes ^^) et j'attends. Ce temps doit être utilisé pour s'imprégner de la pièce, sauf que je ne sais pas lire les kanjis de la calligraphie, alors je me concentre sur les détails, le jardin, ... 

La porte coulisse, elle est assise derrière, en seiza elle aussi. Elle s'excuse, elle place un plat dans la pièce, et entre à son tour. Elle me l'apporte, et m'explique que c'est une soupe aux champignons, pour me permettre de me réchauffer. Une soupe simple et fréquente chez les grands voyageurs comme Kukai, frodo ou Miyamoto Musashi. Puis elle ressort et me laisse manger seul. Puis elle revient, même mise en scène, la porte qui coulisse, elle assise, et elle amène un poulet frit japonais, Karaage ! Je suis surpris, ce n'est pas de la cuisine traditionnelle de temple, et elle me dit qu'un henro se dépense beaucoup donc il a besoin d'énergie, et que tout ce qui est hors la loi n'est pas forcément mauvais, faisant référence à Fight Club. Et les plats s'enchainent, une purée de patate avec une gelée de kakis, le plat favori de mon héros, un riz du pauvre, riz complet, passé à la poèle et recouvert de Miso, le miso de Kukai en l'occurrence, Yusu Miso. Une gelée de tubercule sauvage avec une sauce soja, et un noeud éternel bouddhiste fait en daikon rose (je n'arriverais pas à faire ce noeud avec une corde, alors avec un radis ...) et le clou du spectacle pour moi, le dessert, une dragon ball (gelée de pêche avec un morceau de mandarine dedans pour faire "l'étoile") et un détecteur de dragon ball (thé matcha) Elle m'expliquera tout les ingrédients, les influences, les bienfaits, ou encore la signification de l'arrangement floral qu'elle aura sélectionné pour moi. Des branches porteuses de physalis. Elle me dira que cette branche est comme les henros, qui se débarrassent des fleurs, des feuilles, et qui portent pourtant des fruits sucrés. Je ne saurais pas conclure ce moment. Les mots que je pourrais poser ici ne reflèteraient que pauvrement mes sentiments. Si vous n'êtes pas aussi sensibles que moi à la délicatesse de la fleur de cerisier, qui comme le puissant samurai, peut tomber à la moindre brise de printemps, cet article ne vous touchera peut être pas tant que ça. Je fais le vœu que chacun puisse vivre un moment aussi intense dans sa vie. 






Comme si ce jour n'étais pas déjà assez beau, je suis invité à parler au prêtre, Fuku Jushoku pour ceux qui se souviennent des titres, qui me demande un peu mon histoire, mon sentiment en tant que henro, tout ça. Il me juge digne de participer à une cérémonie en l'honneur de Yakushi Nyorai. Je pourrais ainsi rentrer dans la pagoda dédiée à ce dernier, un honneur que peu de personnes ont reçu, et à ensuite rejoindre le daishido pour la cérémonie, qui se transformera très vite en méditation pour moi. Le prêtre enchainera pendant plus d'une heure et demie des sutras, à une vitesse folle. A la fin, il vient me demander mes impressions, je lui dis que avec Corona, je n'ai pas pu assister à de tels événements et que ça me manque. Et il me répond presque du tac au tac, tu as vu, je suis habillé comme Piccolo ! En effet, il portait une robe mauve, caractéristique du Namékien. Plus tard lors du repas, il me dira qu'il a lu une thèse sur le bouddhisme et l'oeuvre d'Akira Toriyama. Pour exemple, quand Goku se fait couper la queue pour ne pas qu'il se transforme en gorille géant "Oozaru", il hurle et court de partout, puis il se retourne et dit "Ma ii ka" ce qui peut se traduire par "peu importe" et cela transmet un des principes les plus importants du Bouddhisme, l'acceptation. On aura une discussion très intéressante au diner, sur l'intérêt des occidentaux et des japonais de plus en plus, à apprendre le bouddhisme, alors que la vraie quête devrait être de rechercher la Voie de Bouddha. BUSTU DO ! Et je suppose que c'est le virage qu'a prit ma vie, en passant du Bushido au Butsudo. Bien qu'ils ne soient pas étranger l'un de l'autre.

Je regardais la table alors que l'on me resservait du Nabe. Une famille de Malaisie coincée par Corona, un Fuku Jushoku fan de Dragon Ball, une nonne cuisinière, un photographe Tokyoite, un français. J'aurais souhaité que cette soirée soit sans fin.   







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0 Commentaire

  1. Et après ça tu veux qu'on te raconte un peu notre vie ici en couvre feu confiné, non mais c'est pas possible tu vas trop te faire ch..r !!!
    St Lau c'est déjà pas très festif en temps normal il faut le reconnaitre mais là… Gymnase fermé, plus de sport, plus de sport mixte… trop la misère!!!
    Et des photos pour rivaliser avec tes sublimes couchés de soleil… pareil pas possible:St Lau avec sa brume et la déambulation de ses échappés de l'unité psy du coin… non vraiment c'est pas possible!!!
    En tout cas tu restes notre petite parenthèse japonaise enchantée et si j'ai tout bien suivi, si on veut te revoir avant de mourir il va falloir qu'on prenne l'avion . Plein de bises

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