Tout a une fin, sauf un pèlerinage, qui n’en a pas.

Et bien sûr, on l'attendait tous, le retour sur le chemin fut difficile. Quand tu as vécu des choses de ce calibre, retrouver la réalité n'est jamais évident. Vous pouvez vivre ça en revenant de vacances, ou après un week end avec des amis. Il y a restes dans l'esprit, des questions soulevées, des plans futurs, ... Et maintenant avec internet, les contacts restent, et on échange encore, et personne ne veut que cette chose que l'on avait s'arrête. Mais n'est-ce pas sa fin qui lui donne toute sa saveur ? 







Toujours est-il qu'aujourd'hui, je me suis retrouvé sur la même grosse route pendant 30km. Certes il y avait des montagnes, certes l'on m'a escorté dans un tunnel car il était en travaux, donc dangereux, oui il y avait une petite rivière qui jouait à côté de moi, mais c'était toujours une grande route. Donc du bruit, des camions, et une prise de conscience : l'hiver est là. Je ne l'avais pas encore franchement ressenti jusque là, mais à la sortie du fameux tunnel en travaux, avec mes gardes du corps lumineux qui faisaient ralentir les voitures pour moi (les ouvriers qui bossaient dans le tunnel) le vent soufflait très fort. Un peu comme quand tu passes le tunnel des Echelles et que tu trouves la neige d'un coup. Au début n'y prêtes pas tant d'attention que ça. Puis les avants bras se refroidissent. Puis le visage. Et quand tu te dis qu'il faut t'habiller c'est trop tard, tu as froid. Et encore là, c'est en marchant. Je me suis dis que je ferais une petite pause pour prendre des nouvelles d'une copine coincée à Kyoto et c'est là que je me suis rendu compte qu'il faisait vraiment froid. Heureusement, il ne me restait plus trop long pour terminer ma journée. A 15h, je rentrais dans un guest house pour la 3eme fois maintenant. Comme si c'était ma deuxième maison, je me souvenais des interrupteurs, des couvertures, de la gazinière. Mais j'avais un collègue cette fois ci. Et puisque le petit papi qui gère l'établissement n'a pas la santé, ou le temps, de nettoyer, on s'est dit que l'on mettrait notre temps à profit. Un dans la salle de bain, un dans la cuisine, et on refait propre pour les prochains pèlerins. La journée de demain sera sportive, et on fera le même trajet avec mon collègue. Donc tout le monde au lit très tôt !

Le lendemain c'était en effet une journée chargée. L'autre pèlerin aura décidé de quitter l'hébergement à la frontale, vers les 5h30 du mat, pour se laisser du temps de pause. Je pars une heure après lui, confiant. Un temps superbe s'annonce, et me donne du courage. Je vais pouvoir apprécier un de mes derniers jour de montagne. Un de mes derniers jours de pèlerin tout court, en fin de compte. En sortant d'un gros tunnel, je cherche mes feux de brouillard. Une purée de poix dense. Heureusement que l'on quitte la route principale très rapidement, car ce n'est pas si rassurant que ça. Le temple supplémentaire 13 est toujours très sympathique, d'autant plus qu'à l'envers, c'est plutôt du plat pour l'atteindre. C'est la suite qui est intéressante. Si vous avez bien révisé, le temple dans lequel je suis est l'okunoin du temple 65 (mais aussi un temple supplémentaire du pèlerinage, d'où ma visite) C'est donc l'endroit de l'entraînement des moines. Donc le chemin pour y accéder est corsé. Voire dangereux. On y trouve toujours une petite cascade, sous laquelle on prie plusieurs dizaines de minutes pour un rituel de purification. Et mon ascension était plutôt mystique, car la brume s'accrochait bien à la montagne. Je retrouve mon petit temple abandonné peuplé de singes, qui sont absents cette année, à mon grand désespoir (désespoir étant sûrement exagéré). Puis je me retrouve face à un petit panonceau écrit à la main, qui montre des sentiers, certains fermés, le tout en japonais. Je pause mon sac, et tente de traduire ce que je peux. (les kanjis restent un mystère que j'ai eu la flemme de percer) Je me rend compte que ça concerne uniquement ceux qui marchent dans le sens normal, donc je retourne prendre mon sac et là... LA ! Le soleil perce la brume, un instant parfait.  

















Le reste de la journée sera plutôt banal. Un restaurant indien pour me remplir la panse après 6 heures de marche sans pause ou presque. Nan à volonté, avec des gouts surprenants, comme myrtille, sirop d'érable, nori, ... De quoi me permettre de pousser jusqu'au temple 12 et de revenir en train à mon hôtel. Une nouvelle fois, la journée de demain sera tendue. Le temple 60 est une des difficultés du parcours, perché en haut d'une montagne, il n'offre pas beaucoup d'options. 



pas jeune le parking





couche après couche, l'histoire de ma vie

Mon option, ce sera un aller retour de fou, un presque 40 km avec 700m de dénivelé. Mais qui dit aller retour dit pas de sac, alors je devrais m'en sortir. Le démarrage n'est pas ma partie préférée du pèlerinage, mais le premier temple me donnera assez de mandarines pour pallier toute défaillance de moral. Je traverse la zone commerciale bondée d'un pas léger, ne prêtant aucune attention au trafic surchargé. Puis viendra la montagne. Enfin, je peux laisser mes jambes s'élancer sur les aiguilles de pins tombées. Certains diront qu'il faut apprécier, prendre le temps, ... Ce n'est pas ce que mon corps et mon esprit demandent. File, vole, sois vivant. Peut être trop vivant? En redescendant du temple, à fond dans les virages, je n’interprète pas comme il faut une courbe. Le rocher depuis lequel je saute est plus haut que prévu, je plante mes bâtons pour compenser un peu ma hâte, mais rien n'y fait... CRAC ! 

Le diagnostic sera sévère mais juste, fracture du bambou... Un compagnon qui m'aura suivi sur deux pèlerinages japonais, qui aura survécu aux pires traitements et rigueurs, qui se logeait parfaitement dans ma main gauche. Je le laisserais sur le bord du chemin, dans un panier à bâtons. Adieu, l'ami. Repose en paix. 

Et puis vient le dernier jour. Quelques temples supplémentaires vides. Les derniers. Puis le temple 59, le dernier. Et voilà. Un tour de plus. Un pèlerinage étrange, marqué lui aussi par le corona virus. Les choses changent, les gens changent, nous sommes plus ou moins entrés dans l'histoire. Point de guerre mondiale ou de grandes découvertes. Juste un colocataire de notre planète qui nous a rappelé que nous n'étions pas seuls. Que les institutions et les habitudes qui nous croyions invulnérables nous sont apparus fragiles. Que cette globalisation était faillible. De mon côté, j'aurais découvert que porter un chapeau conique faisait de moi une autre personne. Que le racisme était une merde qui touchait tous les ignorants. Que les rencontres n'étaient pas obligatoires sur Shikoku pour apprécier le chemin. Que nous ne pouvons pas nous passer de notre voisin. Qu'il est temps de changer. 









Et Shikoku change ! Pour vous dire, en revenant dans le temple de Senyuji, dans lequel j'avais fait mon Shugyo l'année dernière, le Jushoku m'a dit repose toi. Pendant 2 jours. Point de tâche. Il me dira à la fin du cours de Karate qu'il allait arrêter la religion. Il deviendra professeur de Karate, et agriculteur. Il abandonnera aussi la multitude de champs qu'il avait, pour se concentrer sur quelques uns. Il essayera de créer une communauté de gens intéressés par l'agriculture, pour se partager certaines tâches, comme la récolte. Plutôt que chacun dans son champs, tout le monde dans chaque exploitation. Si ça, ce n'est pas du changement... 40 ans de service. Une vie réglée au cordeau, chamboulée par un virus. Les temples qui faisaient appel à lui pour savoir comment survivre sans pèlerins. Et oui, quand on a de l'argent qui tombe sans rien faire, on devient dépendant. Le temple dans lequel j'étais travaillais dur, et quand les rentrées d'argents se sont faites rares, ils ont pu rebondir sur les autres activités. 

Enfin, voilà la fin de mon périple. Je vous dois des excuses. Je ne m'imagine pas ce que vous pouvez vivre chez vous. Ce que la corona aura changé dans vos pèlerinages quotidiens. Je ne devrais pas douter de l'amour ou de l'amitié que vous me portez. Je vous laisserais savourer mes petites péripéties à votre rythme. Et si vous ne vous sentez pas l'âme au commentaire, je m'en contenterais. 
On reste ensemble !

A bientôt donc !

Je vous laisse avec quelques photos de mon tour à vélo, sur les ponts qui rejoignent Shikoku à l'île principale. 

























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0 Commentaire

  1. Certaines de tes photos semblent sortir d'un autre monde, merci de partager tout ça. Le monde change, c'est certain, et nous avec. Mais comme dit l'ami Sam : "there’s some good in this world, Mr. Frodo. And it’s worth fighting for." Au plaisir de continuer à lire tes futures aventures !

  2. Salut mon ami,
    Quel jolie voyage tu nous as raconté là!
    Je ne trouve pas les mots, j’espère que le temps m’aide à trouver l’inspiration pour te faire un dernier commentaire de folie mais j’avoue c’est compliqué!
    Et c’est là que je me rend compte que réaliser des article pratiquement tous les jours c’est fort même si tu raconte tes journées de marche et de voyage, tu trouve toujours les mots pour nous emmener avec toi, on arrive à voir la route, les camions, le chemin du temps avec ses escaliers aux marches glissantes, géantes, espacés, à sentir l’atmosphère spéciale du lieu et surtout à te savoir heureux!
    C’est le plus important je pense pour nous tous qui sommes à 8000km de toi, de savoir que tu vie ton voyage comme tu le sens, que tu es épanoui et heureux comme jamais!
    Alors oui c’est la fin de ton pèlerinage mais c’est aussi le début de ton nouveau chapitre de voyage, avec une routine bien différente que celle qui vient de se terminer, on ne peux que te souhaiter le meilleur pour la suite et hâte que tu partage tes nouvelles journées sur le blog!

    Pour nous c’est tranquille 40cm de neige, des poids lourd bloqués, des voitures au talus, des glissades, des enfants qui font du bob, des mecs qui se déplace en ski de fond en centre ville, enfin c’est l’hiver mais je n’ai pas croisé Jean Claude DUSS en même temps les remontées mécaniques sont toujours fermés on va pas le voir tout de suite !
    À bientôt sur le blog !

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